Démonologues et démonologies (XIIIe-XVIIe siècles)

Colloque international des 8 et 9 novembre 2012
(résumé)

Ainsi que l’ont démontré un certain nombre de travaux récents[1] venus approfondir et renouveler des études plus anciennes, la pensée chrétienne occidentale contribue, à partir du XIIIe siècle, à placer davantage le diable et les démons au centre du monde médiéval, à les faire quitter les périphéries de la nuit, du songe et de l’enfer pour les amener au cœur des hommes, des villes, de l’Église et des États. Cette évolution, nourrie pour partie par les débats autour de la notion de « sacrement » et par la diffusion d’un savoir magique nouveau assimilé aux traditionnelles « superstitions » puis progressivement à l’hérésie, a pour premier terrain d’expression des écrits doctrinaux qui accordent une place privilégiée (et parfois exclusive) au diable et à ses suppôts, dont les auteurs, philosophes, théologiens, inquisiteurs ou juristes peuvent être qualifiés de « démonologues », un terme plutôt réservé dans l’historiographie aux spécialistes du sabbat des sorciers et des sorcières du XVe siècle et de l’époque moderne.
            L’un des axes de ce colloque envisage d’examiner l’évolution de la démonologie chrétienne à partir de la période scolastique, qui marque un important renouvellement des questions relatives à la nature et à la corporéité des démons, à leur degré d’autonomie dans la création et à leurs modes d’action ou d’influence sur les hommes. Il s’agit notamment de mesurer, par le biais d’études de cas et/ou d’analyses plus transversales, le poids, à court, moyen et long terme, des conceptions thomistes et de celles d’autres philosophes (démonologues) de la fin du XIIIe siècle tels Richard de Mediavilla, Pierre de Jean Olivi, etc., dont l’influence, pour ce qui concerne les premières décennies du XIVe siècle, a été récemment réévaluée. Par ailleurs, comment ces nouvelles questions démonologiques ont-elles été reçues et adaptées entre le XIIIe et le XVIe siècle, en particulier dans des contextes spécifiques tels que la magie démoniaque et la sorcellerie, dont la répression judiciaire, au vu de leurs enjeux politiques et religieux, s’intensifie aux XIVe et XVe siècles en intégrant le cadre plus vaste de la lutte contre l’hérésie ? Un intérêt particulier est à porter à la nature des interactions entre les démons et les êtres humains, sur le plan à la fois physique et psychique (le corps, les sens, l’âme, l’intellect), afin de définir les contours d’une anthropologie démoniaque qui se précise à la fin du Moyen Âge.
            Le nouveau statut du diable et des démons dans la culture savante trouve sa traduction dans les représentations, dont l’étude sera un autre axe important. Il conviendra d’apprécier les liens avec les thèses démonologiques dominantes, ainsi qu’avec les traditions littéraires, didactiques, iconographiques, etc., particulières qui ont présidé à leur élaboration. Si dans certains contextes (notamment iconographiques) le diable se fait menaçant et se trouve investi d’une majesté représentative de son nouveau statut et de son dominium, dans d’autres (par exemple le théâtre religieux) il est bien souvent incapable de faire respecter son autorité, quand, avec ses démons, il ne frise pas le ridicule ; la dimension comique peut ainsi nuancer fortement le caractère radical et subversif de l’altérité démoniaque, ce qui a, à n’en pas douter, d’autres vertus pédagogiques que la peur.
            Enfin, dernier axe important, l’élaboration d’« une » norme répond en partie à la diffusion de démonologies « concurrentes », conçues de manière unanime par les théologiens comme hétérodoxes, voire hérétiques. Si les textes normatifs peuvent rendre compte de ces autres démonologies (non sans un tendance lourde à la déformation ou à la dramatisation que les nouveautés démonologiques ne font qu’accentuer), les textes de magie de la période scolastique et de la Renaissance en sont, chacun à leur manière, le terrain privilégié de (ré-)élaboration et de conservation. La relation n’est cependant pas univoque, et il conviendra d’apprécier le jeu ambigu auquel se livrent certaines de ces sources et leurs « auteurs » ‒ ces autres démonologues ‒ vis-à-vis des conceptions démonologiques dominantes, au prix, parfois, de processus profonds de réécriture et d’acculturation.



[1] Cf. à titre indicatif A. Boureau, Satan hérétique. Histoire de la démonologie (1280-1330), Paris, Odile Jacob, 2004 ; M. Ostorero, Le diable au sabbat. Littérature démonologique et sorcellerie (1440-1460), Florence, Sismel-Ed. del Galluzzo (Micrologus’ Library, 38), 2011.